L'agneau assassiné

Il existe dans le monde des puissances que les éveillés ne peuvent même pas imaginer, ni dans leurs plus merveilleux rêves, ni dans leurs pires cauchemars. Ces forces œuvres les unes avec les autres ou contre les autres, éternellement, faisant parfois pencher la balance dans l’un ou l’autre camp. Si les choix des simples mortels ont parfois des effets déterminants sur leur propre avenir et celui du monde avec lequel ils forment un tout, cela n’est pas évident pour chacune de leurs actions. Il se peut que parfois certaines d’entre elles, malgré tout l’orgueil qu’ils en retirent, ne soient que coup d’épée dans l’eau ou pet de mouche dans une tempête.

Certains lieux sont bien gardés. Les entités qui les gardent peuvent parfois se laisser surprendre par la rapidité des décisions des mortels mais, quand on a l’éternité devant soit, quelle importance peu avoir l’acte d’un soir ? Même les plus profondes plaies finissent toujours par se refermer quand elles ne provoquent pas la mort. C’est ainsi que, dans les plus obscures méandres des domaines souterrains des ombres, certaines illusions prirent fin. Et c’est ainsi que reprit sa place la herse de fer.

Illusion, sa destruction en était une. Chose étonnante, même le rideau de soie fine de facture elfique et de couleur bleue n’avait pas été déchiré ou brûlé. Cela aurait dû apporter le doute. Mais l’orgueil est ainsi fait qu’il aveugle même les plus avisés. Illusion, la rampe en colimaçon menant vers des établis alchimiques d’un autre temps. Illusion encore, les catacombes, telles celles de la grande cathédrales, qui s’enfonçaient vers des salles remplies d’ombres et de démons. Comment aurait pu survivre des êtres aussi insignifiants devant l’un des pires démons que ce monde ait porté : une succube ?

C’est ainsi que, dans les esprits faibles, la maîtresse des ombres propagea la rumeur. Il en sera sûrement quelques uns qui n’en démordront pas, qui maintiendrons que l’illusion est vérité. D’autres affirmerons que la vérité n’est qu’illusion et personne ne comprendra vraiment et ne changera d’avis. Quoi qu’il en soit, il est des forces qui sont faites pour être détruites et vaincues. Il en est d’autres qui ne le seront jamais. Il est des esprits qui oscillent entre vérité et mensonge. Il est des forts qui deviennent faibles et des faibles qui deviennent forts. Mais finalement, ce qui importe, c’est que le monde continue de tourner.

Il est une chose très gênante chez mes mortels. En fait, deux choses : Les yeux, qui vont généralement par deux. Beaucoup de problèmes n’auraient jamais été s’ils n’avaient pas été pourvus des ses globes vitreux, remplis de liquides qui leur permettait percevoir ce qu’ils ne devraient pas. Il est bien connu que rien n’attire leurs yeux, il ne tourneront pas leur esprit plus loin. Une solution pourrait être de les leur crever pour qu’ils ne puissent plus s’en servir mais ce serait beaucoup de travail et entraînerait inévitablement un soulèvement de la moitié du panthéon contre l’autre. Ce qui a été donné ne peut être repris. La Maîtresse comprit qu’elle avait fait une énorme erreur mais elle ne pouvait admettre cela. Alors elle décida de faire une légère modification : Elle fit changer la herse en une lourde porte de fer à travers laquelle personne ne pouvait plus rien voir.

Il est à parier que cela ne servira probablement pas à calmer les esprits agités des éveillés qui ne pourront sans doute pas s’empêcher de s’attirer encore plus d’ennuis mais cela devrait les freiner quelques temps. Après, ils sont libres de leurs choix. Accepteront-ils d’en assumer les conséquences ? Après les quelques récents événements qui se sont produits, ils devraient quand-même y regarder à deux fois.