L'étalon noir

Comme à son habitude, Almonen parcourait la forêt verte pour ramasser des plantes. Elle était plus attentive que jamais à son environnement, du fait que la créature qui avait dévoré Barde rôdait encore dans la région.

Ses pas la menèrent jusqu'à l'Est de la forêt, sur les berges du lac où Papillon avait établit son sanctuaire. La prêtresse était déjà allée là bas, et connaissait le secteur, mais cette fois, quelque chose attira son attention.

Alors qu'elle faisait une brève pause pour s'abreuver aux eaux du lac, elle se sentit observée. Son corps frissonna, ses sens se mirent en alerte. Là, à quelques mètres, deux yeux sombres la fixait. Un cheval, que la robe ébène différenciait de celle plus claire de ses congénères communs, observait l'humaine avec une curiosité mêlée de fierté.

Comme il était beau, se dit-elle, tandis qu'elle retrouvait son insouciance face à cet animal sans hostilité.
Le cheval resta figé, fixant la prêtresse comme si lui aussi était interpelé par sa présence. Ses oreilles se mouvaient au grès des sons ambiants, son poitrail se soulevait au rythme de sa respiration, et une légère brise soulevait sa crinière. Sa queue battait frénétiquement l'air, avec assurance et dignité.

Almonen avait déjà vu des chevaux, mais celui là dégageait une forme de noblesse qui ne pouvait laisser indifférent. Elle se demandait s'il ne s'agissait pas là du chef du troupeau. Mais les chevaux sauvages avaient-ils un chef ? Elle l'ignorait. Quoiqu'il en soit, s'ils en avaient un, elle estimait que celui ci en avait l'allure.

Elle s'en approcha, comme sous le charme, une main tendue vers lui. Le cheval souffla, et fit quelques pas en arrière, agitant la tête comme pour lui demander de garder ses distances. La bête n'était pas du genre à laisser le premier venu l'approcher, et Almonen apprécia cette orgueil.

Elle décida donc de chanter l'air que lui avait enseigné le fantôme de Méline, qu'elle avait aidé. Cendras avait été charmé par cette mélodie, peut être que cet étalon le serait aussi ?

Cendras était sensible aux mélodies de sa maîtresse qui les lui chantaient très souvent quand elle s'occupait de lui à l'étable... ou ailleurs. Ces mélodies, l'étalon noir ne les connaissait pas. Même si peut-être était-il sensible à la musique, les notes de la voix d'Almonen ne lui rappelaient rien et le laissa indifférent. Il continua de brouter tranquillement son herbe à quelque pas, en jetant de temps à autre des regard suspicieux vers celle qui n'était encore pour lui qu'une étrange étrangère.

Almonen continua de chanter, parce que ça lui plaisait bien.

Le fait que le cheval l'ignore ne la dérangeait pas outre mesure. Elle pouvait au moins profiter de sa superbe. Sans arrière pensée, elle sortit un bout de pain qu'elle avait gardé de sa courte visite à la Tour. L'aliment avait été gardé au sec, mais avait durcit depuis le temps.

Elle déposa le bout de pain au sol et recula de plusieurs mètres.

La prêtresse rendait tout les jours visite à l'étalon noir, et pas extension au troupeau autour de lui, puisque ses recherches de plantes et ressources la conduisait vers le lac. Elle faisait d'une pierre deux coups.

Elle s'asseyait un moment, plus ou moins long selon la météo, et chantonnait, pensait à voix haute, comme si le cheval noir pouvait la comprendre. Elle avait parfois l'impression qu'il comprenait, au mouvement de ses oreilles, mais elle réalisait ensuite la bêtise d'une telle pensée : l'animal avait beau être majestueux, il n'en restait pas moins sauvage. D'ailleurs, Almonen le savait bien, si le troupeau tolérait sa présence aussi près, c'était uniquement parcequ'elle n'était pas perçu comme une prédatrice. Une seule erreur pouvait changer la donne.

Elle avait essayé de caresser le cheval, mais il s'était éloigné. Trop tôt peut être, s'était-elle dit. Il fallait encore un peu de temps avant qu'un contact physique puisse s'établir.

La relation entre le cheval et la prêtresse avait progressé d'un maigre pas. A force de lui rendre visite, le cheval s'était habitué à la présence de la jeune fille, comme si elle faisait partie du décors. Il la laissait approcher de plus en plus, l'observant dès qu'elle faisait un mouvement, vacant à son broutage ensuite.

Il s'approchait d'elle lui aussi, lorsqu'un brin d'herbe le tentait, et la reniflait. Elle s'immobilisait alors dans ces moments là, retenant son rire alors que le souffle des naseaux de l'animal lui chatouillait les cheveux et la peau.

Au départ, quand la proximité du cheval le lui permettait et qu'elle tentait d'effleurer son pelage, il se montrait frileux à ce contact, et s'éloignait doucement.
Mais aujourd'hui, il se laissa caresser plus longtemps que d'ordinaire, continuant de brouter sans fuir.
Il poursuivit son petit chemin vers un tas d'herbe sans chasser la prêtresse, mais cette dernière ne lui suivit pas, encore tremblante de constater que le cheval s'était laissé faire, et elle ne voulait pas brusquer les choses.

Elle se rendit plutôt dans le bois sombre, pour demander des conseils à Méline sur les rapports chevaux / humains.

« Les chevaux ont besoin de tendresse et d’amour, vous savez. Avec de la patience, si vous les aimez sincèrement, ils le sauront et n’auront plus peur de vous. Il faut sentir le moment où celui qui est le vôtre aura compris et décidé de vous laisser faire. Alors, il baissera le cou comme pour brouter en confiance devant vous. Vous poserez votre main sur son dos, puis votre bras… Et un jour, vous monterez sur son dos et il vous emportera dans une course folle tout le pays. Il ne faudra pas avoir peur et vous accrocher à lui. Quand il se clamera, alors vous aurez gagné. Il vous obéira. »

Telles sont les paroles de Méline.

Almonen remercia le spectre pour ses bons conseils, et s'en alla.
Le lendemain, elle retourna voir l'étalon, munit d'une petite surprise. Elle lui apporta des pommes, qu'elle posa dans l'herbe. Loin de s'éloigner, elle resta à genoux près des fruits, attendant de voir si le cheval allait approcher.

Manque de chance, ce n'est pas l'étalon noir qui approcha, mais trois autres chevaux du troupeau, attirés par le rouge vif des pommes bien sucrées. Ils se ruèrent sur la nourriture avec tant d'avidité, que la prêtresse dû reculer en hâte, sous peine de finir piétinée.

Elle s'y prendrait mieux la prochaine fois !

Les pommes semblaient beaucoup plaire aux chevaux.

C'est ce qu'Almonen conclu lors de sa dernière visite à l'étalon noir, qui faillit se solder par un drame.

Mais la prêtresse était têtue, et loin de reculer face aux difficultés, c'est avec un entrain redoublé qu'elle retourna voir le cheval, avec un sac remplit de pommes.

Cette fois ci, elle ne ferait pas la même erreur.

Arrivée sur place, elle repéra assez rapidement l'animal parmi les autres. La beauté et la majesté du cheval la frappa à nouveau, tant il se détachait du lot part sa robe ébène et sa prestance.
Elle tira une pomme de son sac et la garda dans sa main droite, faisant des petits bruits pour attirer l'attention de l'animal. Comme d'habitude, il dressa les oreilles, et se mit à fixer l'humaine.

-Viens, approche. J'ai quelque chose pour toi. Tu aimes ça , non ?

HRP:

L'animal approcha avec une sorte de sûreté prudente. Sa démarche était noble et majestueuse. Il avança son museau de la pomme et de la main qui la tenait. Il pris la pomme entre ses dents et la croqua calmement. Il recula ensuite de quelques pas pour terminer la pomme et, une fois avalée, il resta planté là, de toute sa hauteur, devant Almonen comme pour montrer qu'il avait compris qu'elle ne lui voulait aucun mal.

Le contact semblait établi.

Voyant qu'elle avait vu juste quant au goût prononcé des chevaux pour les pommes, Almonen fouilla dans son sac pour en prendre une autre. Mais malheureusement elle n'en avait plus.

- Je t'en apporterai plus la prochaine fois.

Elle repartit en souriant, le cœur léger.

Ce ne fut que plusieurs jours plus tard qu'elle revint voir le cheval, une fois sa déprime derrière elle.

Comme promis, elle apporta d'autres pommes, et en offrit à nouveau au cheval. Ce dernier semblait bien moins méfiant, leur dernière rencontre avait fini d'installer un sentiment de confiance entre l'humaine et l'animal. Elle lui offrit une pomme, puis une autre, et encore une, s'arrêtant à trois pour ne pas le rendre malade.

Le cheval semblait bien plus disposé à se laisser approcher, alors elle se risqua à quelques caresses. Tout en lui parlant.

- Tu es vraiment très beau. Je suis contente que tu comprennes que je ne te veux pas de mal. J'aimerai beaucoup m'occuper de toi, et que nous devenions bons amis.

Sur ces paroles, elle sortit une 4ème pomme de son sac, et la présenta au cheval, comme une récompense. Seulement elle ne la lui donna pas de suite, elle espérait qu'il la suivrait. Elle avança un peu pour voir si le cheval se sentait prêt à la suivre.

Le cheval se montra plus ou moins docile. Il la suivit sur quelques mètres. Il semblait hésiter, tournant la tête vers les autres chevaux qui paissaient tranquillement autour d'eux. Il regarda la pomme, puis Almonen et fit demi-tour. Mais une fois revenu près des siens, il se retourna à nouveau, regardant Almonen de loin avec un regard qui semblait dire "à demain !".

Almonen laissa la pomme derrière elle, et s'en alla.

Elle revint le lendemain avec d'autres pommes.

Le cheval semblait tenir à ses congénères et l'envie de tenter de le monter devenait de plus en plus forte. Les récits de Méline sur ses promenades avec Cendras embrassaient l'imaginaire et la tentation de la prêtresse. Mais elle ne voulait pas contraindre le cheval à la suivre s'il ne le souhaitait pas. Elle estimait que lui aussi avait un choix à faire, et que l'un d'eux entrainerait forcement son éloignement du troupeau.

C'est pourquoi, afin de lui faire comprendre qu'une autre voie été possible, décida-t-elle de la lui faire connaitre.

Muni d'une pomme, elle approcha le cheval une nouvelle fois, pour la lui offrir, guettant la moindre occasion de le flatter de caresses et de tenter de grimper sur son dos.

La nervosité de la bête n'encourageait pas vraiment à lui sauter dessus. Elle mangeait les pommes de plus en plus familièrement et semblait disposer à faire des trajets de plus ne plus éloignés des autres chevaux. Il semble que la méthode d'Almonen était la bonne, mais qu'il lui faudrait encore un peu de patience.

De la patience. Oui. Il en fallait. Mais Almonen était quelqu'un de patient. Le simple fait de voir le cheval plus amical et au moins acceptait d'être touché la rendez joyeuse. La proximité de l'animal lui permettait de trouver une sorte d’apaisement. Le même sentiment que lorsqu'elle cultivait son jardin.

Elle n'était pas avare de friandise à donner aux chevaux, et lorsqu'un autre que l'étalon noir lui faisait sentir qu'il voulait lui aussi une pomme, elle la lui donnait. Si elle n'en avait pas pris assez, elle se servait de son couteau à dépecer pour couper les pommes en deux.

Elle avait remarqué que cet échange de fruits contre la possibilité de toucher les animaux ou de les déplacer était efficace. C'était un peu comme si les chevaux y trouvaient une forme de récompense.

Tu me laisse te toucher, je te donne une récompense. Tu me suis, je te donne une récompense.
Sas le savoir, elle mettait doucement en place un dressage.

L'étalon noir s'enhardissait à aller de plus en plus loin avec Almonen. Il sentait que, de l'autre côté de la pomme, au bout du bras qui la tendait, il y avait quelque chose d'attirant, de sympathique. Du coup, même quand elle arrivait sans pomme, il allait au devant d'elle simplement pour mieux comprendre ce qui pouvait bien motiver cette personne à se montrer sir gentille avec lui. Étalon qu'il était, il fallait tout de même montrer sa fierté. On est pas un simple cheval de monte, quand on est un étalon et, le noir, ça se mérite. Aussi ne se montrait-il tout de même pas trop familier. La suivre, d'accord. La laisser trop approcher, pas encore.

Le plaisir que prenait Almonen à passer du temps avec l'étalon était de plus en plus grand. Loin de prendre la fierté de l'animal comme un obstacle, la prêtresse admirait de jour en jour cette qualité en lui. Ça le rendait noble.

Au delà de cet aspect, elle prenait tout ceci comme un défi. Monter une bête pareil se méritait, et ça plaçait le cheval au dessus des autres. Ça le rendait unique.

Son dressage inconscient était un jeu pour elle. Et les pommes ne devenaient plus seulement des friandises, mais des récompenses. Chaque fois que le cheval se montrait plus docile, en la suivant plus loin, en bifurquant selon son souhait, elle le récompensait d'une pomme et d'une caresse.
Elle travaillait à le faire avancer, s'arrêter, tourner, cabrer, courir en la lui lançant plus loin, parfois même par delà un ruisseau. Elle accompagnait ses jeux de sifflements ou de mots : "Ici, droit, gauche. Bien. Bon cheval"

Elle riait, elle souriait, elle lui parlait, le flattait, l'admirait.

Lorsqu'il le lui permettrait, elle irait sur son dos. Elle guettait le moment.

Une semaine était passée Une semaine d'absence, perdu avec elle même L'étalon se rapellerait-il d'elle ? Elle l'ignorait en se présentant à lui avec ses pommes habituelles

Mais les choses étaient différents pour cette visite Ce n'était pas seulement la paix que l’animal lui apportait lorsqu'elle venait jouer avec lui qu'elle était venu chercher C'était son aide

Je te sais digne et sauvage mon beau, mais j'ai vraiment besoin de toi. Je suis faible et fatiguée. Et je dois me déplacer jusqu'au Défilé, jusqu'au marais. Je n'ai pas encore la force de faire un si long voyage, et pourtant je le dois. Si tu ne m'aide pas, je ne pourrais rien faire. Accepte d'être mes jambes.

Et elle lui tendit une pomme d'une main tremblante. Guettant une réaction. Avait-il compris ? Ce n'était qu'un cheval. Mais en cet instant, il était sa nécessité.

Le cheval ne mangea pas la pomme. Il en la regarda même pas. Il regarda le femme qui venait le voir et sentit que quelque chose n'allait pas en elle. Alors il baissa l'encolure et plia les pattes avant. C'était comme une invitation. Il semblait que le fier étalon noir avait compris.

Almonen regarda, surprise, mais émue, l'étalon l'inviter à grimper sur son dos. Elle devait vraiment faire pitié à voir pour que l'animal range sa fierté sauvage pour accepter sa demande. Elle lança la pomme à un autre cheval, et s'approcha pour s'agriper à l'encolure et grimper. Elle voyait le monde de plus haut, et même si elle ne s'attendait pas à la rudesse du dos de l'animal contre son petit postérieur, elle souriait.

Restait à être en mesure de conduire le cheval à destination.

Merci.