Pensées du Maître (les)

J’ai trouvé le Maître étrange, la dernière fois que je l’ai vu. Il semblait préoccupé, et son image était plus floue que d’habitude. Il ne m’a pas parlé mais j’ai pu comprendre certaines choses qui le tourmentent. Il n’a rien dit mais j’entends ses paroles dans ma tête, comme s’il les avait prononcées lui-même. Je sais que c’est moi qui mets ces mots sur des choses que je ne fais que ressentir mais, j’en suis convaincue, ces mots ne le trahissent pas. Ils sont le reflet de ses sentiments.

Ces mots, les voici :

« Quand il s’agit de détruire des mondes, les dieux, tout comme les mortels sont très imaginatifs. Ils le sont beaucoup moins quand il s’agit de les construire. L’inconscience et la négligence a détruit celui-ci et j’ai fait ce que j’ai pu pour permettre aux mortels de le rebâtir à leur manière, tout en les protégeant contre eux-mêmes de leur propres pouvoir destructeur. La mort a été vaincue. Beaucoup de règles ont été changées. Mais il semble que rien n’y fasse. Les éveillés préfèrent dormir.

« Je n’abandonnerais pas. Même si je devais m’endormir dans un profond sommeil, je me réveillerai quand le moment sera venu. Tournecarré continuera de tourner autour d’un fantôme, dans l’indifférence la plus générale.

« Mes protégées sauront sans doute s’en sortir. Bien qu’elles risquent forts de ressentir une grande solitude, elles pourront se lier plus profondément aux quelques éveillés qui restent. Je sais qu’elles ne m’en voudront pas et que les livres qui font leur pouvoir les aideront à faire ce qui doit être fait.

« Je ne pars pas. Je vais me reposer. Je n’abandonne pas, je vais à la recherche de ce qui pourrait faire revenir les âmes de bonne volonté, celles qui souhaitent plus que tout vivre des aventures extraordinaires mais qui ne comprennent pas que ce sont elles qui les construisent par leur interaction avec ce monde. Si elles ne le veulent pas, si jamais plus aucune d’entre elles n’a le désir de participer à la création et l’évolution du monde, alors c’est que ce monde n’a plus de raison d’être.

« Tant qu’il reste une âme qui vive, ce monde ne s’éteindra pas. »

Ainsi résonnèrent dans mon cœur les pensées du Maître qui s’efface sans n’avoir jamais laissé son nom.