Un pacte bien étrange

L’idée est simple. Si simple qu’Emiade se demandait encore pourquoi personne n’y a pensé avant. Même l’archevêque n’a pu qu’acquiescer quand elle lui a soumise... Et même Brave. Un cimetière est un lieu qui appartient à la mort et, comme chacun le sait, la mort n’aime pas rendre ce qu’elle a pris. Chacun sait aussi qu’on ne se débarrasse jamais des créatures mortes-vivantes. Elles ont la fâcheuse manie de revenir sans arrêt et c’est justement ce que Brave – Mais sans doute pas que lui – voulait éviter. Il avait demandé à Sœur Emiade de réfléchir à un moyen de parvenir à cela grâce à un rituel lumineux. Elle trouva mieux encore.

Ne serait-il pas préférable de rendre à la Faucheuse ce qui lui appartient et que le Nécromancien lui a volé ? Il faut lui demander. Rencontrer à nouveau la mort n’est pas extraordinaire pour Emiade. Elle l’a déjà fait. Elle a déjà vécue morte dans les cryptes du retour. Ces rencontres n’ont pas été très enthousiasmantes car la Faucheuse n’apprécie pas le fait qu’une personne squatte un lieu réservé aux morts, surtout une prêtresse lumineuse. Mais, connaissant les réelles intentions de la prêtresse, elle l’avait laissée faire, son but n’étant pas de réveiller les morts, mais de retrouver les âmes que le vide a volées.

La mort n’est pas ténébreuse. La mort n’est ni de la Lumière, ni de l’Ombre en soit. Ce sont les pratiquants des arts sombres qui la déforme ainsi. Et l’ignorance des mortels aussi. La Faucheuse à deux aspects : Celui de la libération des souffrances de la vie, une mort pleine de bienveillance et de bonté, et celui de la douleur liée à la perte de ceux qu’on aime et à la peur de l’inconnu, une mort cruelle et souvent sadique. Mais fondamentalement, la Faucheuse est neutre. Les souffrances qu’elles semble provoquer ne sont pas de son fait. Son travail n’est que celui d’un passeur. L’Église de Lumière n’a donc aucune raison de ne pas traiter avec elle. Et ça, l’archevêque le sait.

Soeur Emiade entreprit donc courageusement une nouvelle descente au royaume des morts. Et elle y trouva ce qu’elle cherchait.

« Te voici de retour. Mais je ne t’ai pas appelée, il me semble. Que fais-tu ici ?
- Je suis venue te rencontrer avec une requête très particulière qui ne devrait que te plaire.
- Expliques-toi !
- Je sais que tu n’apprécies pas beaucoup que des motels traficotent avec ce qui t’appartient. Nous non plus ! Pourtant, tu sembles laisser faire certains d’entre-eux qui pillent tes jardins et, du même coup, nous empoisonnent la vie. Le nécromancien serait-il ton amant ? Et ce « Maladie » dont on entend parlé depuis quelques temps serait-il un de tes enfants ?
- Ne soit pas stupide ! Tu sais bien que ces mortels-là développent un esprit si vicieux que leurs pouvoirs parfois me dépassent. Où veux-tu en venir ?
- Et bien je suis venue te proposer un marché : Nous t’aidons à débarrasser les cimetières des plus puissants de tes évadés et toi, tu reprends tes jardins et les empêche de revenir.
- Des mortels qui font un pacte avec la mort ! Ce n’est pas courant et ça mérite réflexion. Est-ce tout ce que tu me donnes en échange ?
- Non ! Je te propose du même coup une alliance avec l’Église de Lumière. Les mortels t’associent toujours avec l’Ombre parce que tu leur fais peur. Pourtant, grâce à la Lumière, nous parvenons à faire revenir des personnes qui tombent dans tes bras. N’est-ce pas parce que tu as, toi aussi, un côté lumineux ? Nous pouvons t’aider à changer cela en propageant une image plus positive de toi auprès des mortels. Qu’en penses-tu ?
- Je doute que tu y parviennes. Il n’est pas mauvais que les mortels me redoutent. Ils sont déjà bien assez arrogants en se pensant plus forts que leurs dieux. Il n’est pas question qu’ils me considèrent comme leur servante ou leur amie.
- Ils continueront de te craindre mais pourront développer une plus grande sagesse. J’en suis convaincue. S’ils se montrent souvent aussi méprisant envers les leurs et la vie en général, n’est-ce pas un peu parce qu’ils savent que le vie, à cause de toi, est si courte n’a que si peu de valeur ?
- Il est plus à craindre que, au lieu de dorer mon blason, cela ne ternisse le vôtre.
- Nous feront ce qu’il faut pour que cela ne se fasse pas. Chacun sait que la Lumière est bienveillante et respectueuse de la vie. Nous sommes les seuls à savoir que toi aussi. C’est cela que nous montrerons.
- Soit ! Cela ne coûte rien de tenter l’expérience. Et tu connais mon esprit joueur. Libérez mes jardins de la vermine et je m’arrangerais pour leur interdire de revenir vous tourmenter... Hormis pour ceux pour qui le moment arrivera.
- Ha oui ! La fatalité ! Accorde-nous au moins de luter contre et de chercher le moyen de retarder ce moment-là. C’est cette lute qui motive les mortels dans leurs meilleures actions.
- Sans adversité, le jeu est moins amusant. Cela va donc de soi. Mais au final, c’est toujours moi qui gagne et souvent bien trop facilement.
- Merci Mariam ! Je m’en vais annoncer cette bonne nouvelle à mes frères et sœurs.

Emiade salua la mort, satisfaite, et se retint de la bénir comme elle le fait habituellement avec les mortels. Elle ressortit de la crypte par un moyen mystérieux connu de l’Église seule, pour annoncer que La Faucheuse est désormais du côté des mortels.